Intermède sur les boissons
En ce moment je lis Parias, de Pascal Bruckner. C’est un bouquin que j’avais commencé par jeter au fin fond de ma bibliothèque au bout de trois chapitres, tellement l’accroche était dérangeante : l’histoire d’un Américain installé en Inde qui entreprend de tuer tous les marginaux, délinquants, mendiants, prostituées et petits voleurs ; en gros, d’ “exterminer les déchets sociaux” au nom d’un avenir harmonieux pour le pays. Bon.
Mes récents échecs en choix littéraires m’ont poussée à le rouvrir, et je m’en félicite à chaque trajet en métro. Aujourd’hui, un intermède sur les boissons, délicieusement écrit :
“Prendre un café en Inde me semblait inconcevable ; cette dynamite convenait à des sociétés du temps rare pour qui chaque minute compte : seuls des hommes pressés avalaient ces tasses d’explosif dont l’amertume opaque énerve et dessèche. Le thé, au contraire, boisson de peuple cérémonieux, s’apparentait à la mousson, aux pluies moites. Apaisant et excitant à la fois, il appelait la palabre, la détente, surtout quand on l’arrosait d’une délicate aspersion de lait. Dans sa transparence brûlante infusaient lentement les idées, les traditions, alors que le marc noir du café envoyait à l’esprit des secousses aussi fortes qu’éphémères.
A Paris, boire un thé au lait, c’était boire l’indolence des tropiques ; le même thé à Bombay superposait les deux hémisphères, déroutait la mémoire. Cette retraite dans le confort avait le charme d’un dépaysement. Le plaisir était plus grand encore de retrouver, au sortir des salons, la touffeur et le désordre des rues.”